Une équipe internationale de scientifiques a utilisé les données recueillies par le télescope spatial James Webb de la NASA/ESA/CSA pour détecter pour la première fois une molécule connue sous le nom de cation méthyle (CH3+), située dans le disque protoplanétaire entourant une jeune étoile. Ils ont réalisé cet exploit grâce à une analyse d’experts interdisciplinaire, comprenant des contributions clés de spectroscopistes de laboratoire.
Cette molécule simple possède une propriété unique : elle réagit relativement peu avec l’élément le plus abondant dans l’univers (l’hydrogène), mais réagit rapidement avec d’autres molécules et initie ainsi la croissance de molécules plus complexes à base de carbone. La chimie du carbone présente un intérêt particulier pour les astronomes, car toutes les formes de vie connues sont basées sur le carbone. Le rôle essentiel de CH3+ dans la chimie interstellaire du carbone a été prédit dans les années 1970, mais les capacités uniques de la sonde Webb ont finalement permis de l’observer, dans une région de l’espace où des planètes capables d’abriter la vie pourraient éventuellement se former.
Les composés du carbone sont les éléments constitutifs de toute vie connue et, à ce titre, ils présentent un intérêt particulier pour les scientifiques qui cherchent à comprendre comment la vie s’est développée sur Terre et comment elle pourrait éventuellement se développer ailleurs dans l’Univers. La chimie organique interstellaire est donc un domaine qui fascine profondément les astronomes qui étudient les lieux où se forment les nouvelles étoiles et les nouvelles planètes. Les ions moléculaires contenant du carbone sont particulièrement importants car ils réagissent avec d’autres petites molécules pour former des composés organiques plus complexes, même à de faibles températures interstellaires.
Le cation méthyle (CH3+) est l’un de ces ions à base de carbone. Depuis les années 1970 et 1980, les scientifiques ont émis l’hypothèse que CH3+ était particulièrement important. Cela est dû à une propriété fascinante du CH3+, à savoir qu’il réagit avec un large éventail d’autres molécules. Ce petit cation est suffisamment important pour avoir été théorisé comme la pierre angulaire de la chimie organique interstellaire, mais jusqu’à présent, il n’a jamais été détecté. Les propriétés uniques du télescope spatial James Webb en ont fait l’instrument idéal pour rechercher ce cation crucial, et aujourd’hui, un groupe de scientifiques internationaux l’a observé pour la première fois avec le télescope Webb.
Marie-Aline Martin de l’Université Paris-Saclay (France), spectroscopy et membre de l’équipe scientifique, explique que “cette détection de CH3+ valide non seulement l’incroyable sensibilité de James Webb, mais confirme également l’importance centrale postulée de CH3+ dans la chimie interstellaire”.
Le signal CH3+ a été détecté dans le système étoile-disque protoplanétaire appelé d203-506, situé à environ 1350 années-lumière dans la nébuleuse d’Orion. Bien que l’étoile de d203-506 soit une petite naine rouge, dont la masse ne représente qu’un dixième de celle du Soleil, le système est bombardé par un fort rayonnement ultraviolet provenant d’étoiles chaudes, jeunes et massives situées à proximité. Les scientifiques pensent que la plupart des disques protoplanétaires en formation subissent une période de rayonnement ultraviolet aussi intense, car les étoiles ont tendance à se former en amas comprenant souvent des étoiles massives productrices d’ultraviolets. Fait fascinant, les météorites suggèrent que le disque protoplanétaire qui a ensuite formé notre système solaire a également été soumis à une grande quantité de rayonnements ultraviolets, émis par un compagnon stellaire de notre Soleil, mort depuis longtemps (les étoiles massives brûlent intensément et meurent beaucoup plus rapidement que les étoiles moins massives).
L’équipe qui a mené ces recherches a peut-être trouvé la solution à cette énigme. Leurs travaux prédisent que la présence de CH3+ est en fait liée au rayonnement ultraviolet, qui fournit la source d’énergie nécessaire à la formation de CH3+. De plus, la période de rayonnement ultraviolet subie par certains disques semble avoir un impact profond sur leur chimie. Par exemple, les observations de Webb sur les disques protoplanétaires qui ne sont pas soumis à un rayonnement ultraviolet intense provenant d’une source proche montrent une grande abondance d’eau, contrairement à d203-506, où l’équipe n’a pas pu détecter d’eau du tout. L’auteur principal, Olivier Berné, de l’université de Toulouse (France), note que “cela montre clairement que le rayonnement ultraviolet peut complètement modifier la chimie d’un disque protoplanétaire”.
Bien que des recherches publiées dès les années 1970 aient prédit l’importance de CH3+, il était jusqu’à présent pratiquement impossible de le détecter. De nombreuses molécules présentes dans les disques protoplanétaires sont observées à l’aide de radiotélescopes. Toutefois, pour que cela soit possible, les molécules en question doivent posséder ce que l’on appelle un “moment dipolaire permanent”, c’est-à-dire que la géométrie de la molécule est telle que sa charge électrique est déséquilibrée en permanence, ce qui lui confère un “moment dipolaire positif et négatif”. CH3+ est symétrique et sa charge est donc équilibrée. Il ne possède donc pas le moment dipolaire permanent nécessaire aux observations du radiotélescope. En théorie, il serait possible d’observer les raies spectroscopiques émises par CH3+ dans l’infrarouge, mais l’atmosphère terrestre rend ces raies pratiquement impossibles à observer depuis la Terre.
Il était donc nécessaire d’utiliser un télescope spatial suffisamment sensible pour observer les signaux dans l’infrarouge. L’instrument NIRSpec, qui fait partie de la contribution européenne au télescope Webb, et l’instrument MIRI, dont la moitié a été fournie par l’Europe, étaient parfaits pour cette tâche. En fait, la détection de CH3+ avait été si difficile à obtenir auparavant que lorsque l’équipe a vu pour la première fois le signal dans ses données, elle n’était pas sûre de savoir comment l’identifier. Fait remarquable, l’équipe a été en mesure d’interpréter ses résultats en l’espace de quatre semaines, en s’appuyant sur l’expertise d’une équipe internationale aux compétences très variées.
La découverte de CH3+ n’a été possible que grâce à une collaboration entre astronomes observateurs, modélisateurs astrochimiques, théoriciens et spectroscopistes expérimentaux, qui ont combiné les capacités uniques du JWST dans l’espace avec celles des laboratoires au sol pour étudier et interpréter avec succès la composition de notre univers local. et l’évolution. Marie-Aline Martin ajoute que “notre découverte n’a été possible que parce que les astronomes, les modélisateurs et les spectroscopistes de laboratoire ont uni leurs forces pour comprendre les caractéristiques uniques observées par James Webb”.